Comme chacun sait, les nanoparticules sont des éléments dont la taille varie entre 1 et 100 nanomètres (1 nm = 10-9 m = 0,000000001 m). C’est-à-dire qu’un nanomètre étant mille millions de fois plus petit qu’un mètre, une nanoparticule correspond, en gros, à un milliardième de mètre. Soit l’équivalent, par exemple, d’un cinquante millième d’épaisseur de cheveu humain. Ce qui la rend évidemment beaucoup plus petite qu’une cellule humaine, dont le diamètre est compris en moyenne entre 10 et 100 micromètres (le micromètre, de symbole μm, vaut 10-6 mètre [0,000001 m], soit un millionième de mètre ou un millième de millimètre). Enfin, vous voyez… Non, vous ne voyez pas ? Pas d’inquiétude, c’est normal : la nanoparticule n’est pas visible à l’œil nu.
Une thérapie non toxique
Imaginez maintenant une nanoparticule d’or (vous avez bien lu), « enrobé » dans une molécule de plante médicinale parfaitement identifiée par les cellules du corps humain, que l’on introduirait dans des cellules cancéreuses… Celles-ci seraient ensuite irradiées par rayonnements infra-rouge - qui n’agresse pas la peau contrairement aux rayons X -, le dégagement de chaleur (hyperthermie) produit par l’or détruisant alors les cellules tumorales et elles seules, à l’inverse des médicaments et de la chimiothérapie classique qui détruisent toutes les cellules, les malades comme les saines.
Disons-le sans ambages, on entre là dans une nouvelle ère de la médecine. C’est en effet la première fois que l’on utilise l’or (métal bio-compatible, inerte, inoxydable) pour tenter de vaincre le cancer, via des nanoparticules médiatrices d’hyperthermie par photothérapie plasmonique. La plasmonique étant, bien entendu, cette récente discipline à l’interface de la physique, la chimie et la biologie.
Or, Anne-Laure Morel est justement une spécialiste de la chose, titulaire d’un master de biochimie structurale, au carrefour de ces trois domaines. Master agrémenté d’un doctorat sur la conception de biocapteurs (nanoparticules couplées à des agents biologiques), pour faire bonne mesure. Cette pionnière de la bio-nanomédecine va peut-être (va certainement !) révolutionner le traitement du cancer, avec la mise au point d’une thérapie non toxique, conçue selon un procédé écologique, et plus respectueuse de l’environnement.
Et ça marche !
Maman originaire du bordelais, papa réunionnais. Anne-Laure est née et a grandi à La Réunion, qu’elle ne quittera que pour ses études, à Bordeaux puis Paris, et le début de son parcours professionnel, à Paris également. En 2012, retour sur l’ile, avec en tête cette idée qui prend forme : trouver un composé bio-réducteur naturel pour traiter ce cancer dont elle a déjà vécu, impuissante, les ravages dans son entourage. La Réunion est riche en espèces végétales dument répertoriées dans la pharmacopée nationale. C’est à partir de l’une d’elle, l’ambaville (connue pour ses vertus anti-inflammatoires et cicatrisantes, également utilisée en tisane pour lutter contre les problèmes digestifs), qu’elle va concevoir la nanoparticule destinée à détruire les cellules cancéreuses. « La plante est considérée comme un matériau de fabrication de la nanoparticule et non plus comme un principe actif. On utilise ainsi les propriétés physiques des matériaux (l’ambaville, l’or) et non plus leurs propriétés chimiques, comme une alternative ou un complément à la chimiothérapie ou la radiothérapie. »
Et ça marche ! Pour les cancers « de surface » (cancers de la peau) les essais sur les animaux se sont révélés tout à fait concluants, avec une efficacité avérée dès les premiers jours de traitement et des effets secondaires bien moindres. La préparation des essais cliniques chez l’homme est en cours, pour une mise en œuvre en 2022. Pour les cancers « profonds » (prostate, poumon pancréas, vessie…) deux programmes sur les animaux sont en phase préclinique.
A farceuse, farceuse et demi
Reste qu’Anne-Laure Morel n’est pas arrivée à ces résultats en claquant des doigts. Osons le truisme : il lui a fallu se battre. « Lorsque j’ai commencé à exposer cette idée, totalement novatrice, on m’a prise pour une farceuse… » N’empêche ! Candidate au concours d’innovation i-Lab (aide à la création d’entreprises de technologies innovantes) de BPI France, elle est lauréate de la catégorie « émergente ». La dotation, couplée à un concours bancaire, lui permet, en 2015, de fonder Torskal, la start-up porteuse de tout le projet de recherche et de développement de cette nouvelle technologie.
Car il faut encore préciser qu’à l’issue de sa thèse, avec déjà l’ambition de créer une entreprise mais sans avoir comment s’y prendre, Anne-Laure a travaillé pendant deux ans (2010-2012) dans un cabinet-conseil où elle a pu s’initier aux arcanes de la recherche pour financer… la recherche.
Aujourd’hui, Torskal compte 9 collaborateurs et trois implantations à La Réunion, Paris et la Floride.
Chinois et psychologie
Quand elle ne cherche pas, que fait Anne-Laure Morel ? « En ce moment, je prends des cours de Chinois. Nous avons des partenaires chinois pour nos programmes « profonds », et il est utile de comprendre leur culture. Ca facilite les échanges. » Elle s’intéresse aussi à la psychologie (« j’ai failli faire psycho… »), se forme à la connaissance de soi et des autres. « Cela m’aide au quotidien pour gérer l’entreprise, manager l’équipe, faire en sorte que nous avancions tous dans la même direction avec un objectif commun. » Sinon, elle pratique le yoga, la course à pied et la randonnée (« pour découvrir La Réunion »). Elle apprécie également de se retrouver seule, l’espace de quelques jours, pour se ressourcer. Chaque année, elle se ménage ce créneau revivifiant. Ainsi, cet été, est-elle partie une petite semaine sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. « Il y a là une forme de spiritualité qui permet de se concentrer sur l’essentiel. » En vérité, Anne-Laure Morel dit sa foi : « C’est ce qui me guide chaque jour. »