JR l’interviewer : Alors comme ça, tu ferais partie de ceux que Sylvain a eu « la chance de croiser » ? Ces êtres d’exception, aux idées claires, au caractère affirmé, à la personnalité lumineuse ? Pour te connaître un peu, permets-moi de te dire que ça n’est pas très sérieux…
JR l’interviewé : Ca commence bien. Peut-être n’ai-je pas grand-chose à faire aux côtés de Jean Poulallion, Alain Simon, Emmanuelle Duez, Christian Streiff, Frédéric Renaudeau, Florence Bénichoux et consorts dans la rubrique « Inspirations » de ce site - mais peut-être seulement ! Toutefois, j’admets que si je faisais preuve d’un caractère affirmé j’aurais refusé cette interview.
Et ça m’aurait facilité les choses. Interviewer ceux « d’Inspirations » ne me pose pas de problème particulier. Mais toi, quelle barbe… Puisque nous sommes au pied du mur, tu connais le principe : tu me dis tout, et je m’occupe du reste.
Je suis originaire de Royan, charmante station balnéaire de Charente-Maritime. Ma formation juridique me conduisait vers le notariat - d’ailleurs, j’ai exercé quelque temps comme clerc de notaire. En 1984, en collaboration avec mon meilleur ami, j’ai écrit un premier livre sur le rugby - d’autres suivront. Quand je me suis enfin rendu compte que le notariat n’était pas forcément ma vocation, cet ouvrage m’a ouvert les portes du journalisme. A 25 ans j’ai quitté ma province, bien décidé à empoigner la vie ; le cœur léger et le bagage mince - pardon, je m’égare…
C’est comme ça que j’ai débarqué à Paris où (passons les détails) le patron d’un mensuel traitant de rugby m’a engagé, moi qui ne savais même pas écrire un article ! Pas sûr que cela soit encore possible aujourd’hui - je lui en garde une profonde reconnaissance. J’ai littéralement appris mon métier « sur le tas ». Puis j’ai rencontré mon épouse et nous sommes retournés en province où j’ai atterri dans un grand quotidien régional du Sud-Ouest (non, pas celui-là, l’autre). Sept ans de « locale », c’est aussi très formateur. Lassé de la PQR, j’ai rejoint la CCI de Reims, en 1995, pour prendre en main son magazine. Puis quelques années plus tard, j’ai intégré la structure chargée de la protection sociale (santé, prévoyance, retraite complémentaire) des salariés d’un grand groupe bancaire, toujours à Reims, et toujours pour réaliser des magazines. J’y suis resté 19 ans.
Dans ce modeste parcours, un brin tortueux de surcroît, rien ne laisse entrevoir la moindre disposition à fonder une entreprise.
C’est exact. Contrairement aux invités « d’Inspirations », je n’ai pas franchement l’âme d’un entrepreneur. Et tant que j’ai pu changer d’horizon ou de routine, je m’en suis satisfait. Pourtant, à l’heure où je n’avais plus guère de perspectives, cette voie m’a semblé être une solution pour retrouver de l’envie.
La création d’entreprise comme un pis-aller ? Voilà qui n’est pas glorieux.
Ce n’est pas tout à fait comme cela qu’il faut voir les choses. J’ai entendu récemment, de la part d’un créateur d’entreprise, une définition à laquelle je souscris volontiers. Il y voyait l’un des derniers terrains de liberté en même temps (sic !) que le seul esclavage librement choisi.
En 2008, mon épouse, qui est également journaliste, et moi-même (j’étais toujours salarié) avons fondé « Quinze Cents Signes », entreprise de communication rédactionnelle tout terrain, puisque l’écriture est notre métier. A notre échelle, il s’agissait d’une nouvelle aventure, et surtout d’un beau défi, qui n’était en rien la conséquence d’une impulsion subite et irréfléchie, mais bien le résultat d’un projet longuement mûri. Une sorte d’aboutissement inéluctable, peut-être une forme d’épanouissement, que nous ne soupçonnions pas jusque-là. Je ne crois pas que l’on se lance dans la création d’une entreprise, quelle qu’elle soit, sur un simple coup de tête. Ou bien on n’est pas sérieux.
J’ai découvert, sans le formaliser alors, ce qu’entendait ce créateur d’entreprise par « terrain de liberté » et « esclavage librement choisi ». Il faut croire que cela m’a plu puisque dix ans plus tard, à 57 ans, cet âge où certains attendent la retraite comme on attend Godot, j’ai démissionné de mes fonctions salariales pour rejoindre à 100 % notre toute petite entreprise. Avec une clientèle à développer mais plus de patron sur le dos, le plaisir de la variété dans l’activité, celui d’être sur le terrain autant que derrière le clavier, de faire des rencontres étonnantes (pas toujours non plus, il ne faut pas rêver !!!), de se revivifier l’esprit ; mais aussi ce qui n’est pas forcément une partie de plaisir, affronter la concurrence, se colleter avec la machine administrative, travailler sept jours sur sept, avoir des angoisses de trésorerie. Et ça, les interviewés « d’Inspirations » le savaient déjà depuis longtemps.
Tout cela est aimable. Mais c’est bien ce que je pensais, tu ne ressembles pas franchement aux invités « d’Inspirations »…
Ma ressemblance avec eux est au moins d’avoir une entreprise dûment inscrite au registre du commerce et des sociétés. Mais je n’ai pas triché : créer une entreprise n’a jamais été pour moi un besoin. Un jour, c’est devenu un moyen. Le moyen d’aller plus loin, de grandir encore un peu. Sans doute en est-il d’autres. C’est celui que j’ai saisi, et je m’en flatte. Libre à chacun d’en penser ce que bon lui semble…