Il faut toujours se méfier d’un type qui se qualifie de gros fainéant. Ainsi Jean-Luc Bodart, Belge de Bruxelles et de 63 ans, qui n’a pas fait d’études parce qu’il n’a « pas compris l’intérêt d’en faire ». Eduqué sur le modèle d’un père horticulteur - « Tu décides, tu arroses, tu attends que ça pousse… » - il a toujours nourri un rapport particulier au temps. De quoi se revendiquer, au bout du compte, « self made man, sans doute avec les défauts qui accompagnent ce genre de formation… au plus près du terrain, mais pas formaté et sans aucun a priori sur un business ou une idée. »
Service militaire à 22 ans. A 24, il gratte du papier chez un agent de change, à Bruxelles. Toujours dans la capitale belge, il est engagé par une banque japonaise en qualité de responsable de la salle des marchés, sans vraiment savoir ce qu’est une salle des marchés, et sans parler anglais ! En 1992, il fonde sa propre structure de trading, preuve que l’expérience bancaire nippone a porté ses fruits, la maîtrise de l’anglais en prime. Puis il rejoint un fonds commun de placement alternatif pour vendre « de l’espoir, des rêves, du vent… », qui traversera difficilement la crise financière de 2008 et mettra la clé sous la porte en 2018. A 58 ans, Jean-Luc Bodart se retrouve au chômage.
Rebondir
Parmi les valeurs que Jean-Luc Bodart cultive avec la même conscience que son père pratiquait l’horticulture, il y a ‘la famille’. « La famille, c’est porteur dans la vie d’un homme. Sans la famille, on va moins loin. Et quand ça ne va pas, on se réfugie dans sa famille… » Conception qui ne tient pas nécessairement du hasard quand on a grandi entouré de sept frères et sœurs, quand sa grand-mère paternelle - élevée au rang de ‘Juste parmi les nations’ - a eu 12 enfants. « J’ai toujours pensé et continue à penser que les autres ont les mêmes valeurs que moi. Je cherche toujours cette dimension humaine, ce qui fait de moi un optimiste naïf, parce que les choses ne se passent évidemment pas comme ça dans la société. »
58 ans. Jean-Luc aurait pu courir sur son erre, le port de la retraite à portée d’amarres. Moyennant quoi, il ne pense qu’à rebondir. « Chez l’homme, la reconnaissance est un moteur ; chez moi, c’est un turbo. » Il s’agissait alors de montrer aux siens - son épouse, ses enfants qui démarraient dans la vie après avoir fait des études, eux, d’ingénieurs - qu’il était capable de faire autre chose que ce qu’il avait fait jusqu’alors.
L’idée éolienne
Jean-Luc Bodart s’est toujours demandé pourquoi personne n’avait imaginé l’installation d’un système éolien le long d’une autoroute afin de récupérer et d’utiliser l’énergie générée par le déplacement d’air dû à la circulation. Il en a même discuté, à l’occasion, avec le prof de musique et de maths de ses enfants, sorte de professeur Tournesol, ingénieur mécanicien de formation, qui en avait justement couché le principe sur le papier - mais le prof, sans doute cossard, n’envisageait pas les travaux pratiques.
Pour autant, Jean-Luc creuse l’idée éolienne. Il en potasse les tenants et les aboutissants sur Google et, certainement inspiré par Eole, conçoit un prototype destiné à l’habitat. Il s’imprègne également de l’expérience de James Dyson, l’inventeur de l’aspirateur qui aspire, qui aurait comptabilisé 5 126 échecs (c’est beaucoup, quand même…) en testant son engin, avant d’aboutir enfin, au 5 127e !
Exposant son projet lors d’un salon, il rencontre un plaisancier qui trouve que son système serait très utile sur son bateau pour recharger ses batteries à bord sans faire tourner son moteur.
‘Bon Dieu, mais c’est bien sûr’, se dit Jean-Luc in petto, en se frappant la paume gauche de son poing droit (enfin, on suppose que les choses ont pu se passer ainsi…) : une éolienne destinée aux bateaux de plaisance, en cette époque de décarbonation à ‘t’en veux n’en voilà’, cela a du sens pour quelqu’un en prise avec son temps, soucieux de son environnement, et qui se pique d’apiculture - la survie des abeilles étant à ses yeux un symbole de l’indispensable transition écologique - avec deux ruches dans son jardin.
Un produit dans l’air du temps
A 60 ans, cet âge de tous les possibles, Jean-Luc Bodart crée Philéole, « avec les emm… que cela engendre » et la ferme intention de proposer une indépendance énergétique bio-sourcée, respectueuse de la nature grâce à des techniques innovantes et non nuisibles.
Après deux ans et demi de mise au point - et la rencontre de quelques vrais ingénieurs lui assurant que son éolienne à axe vertical ne fonctionnerait jamais - Jean-Luc Bodart a obtenu le label Solar Impulse, séduit les leaders du nautisme que sont Beneteau et Fountaine Pajot ainsi que leurs équipementiers, et s’apprête à passer à la production industrielle de son modèle nautique, pour commencer. Car, si cette mini éolienne (90 cm de hauteur) est d’abord destinée aux bateaux, notamment aux voiliers, pour leur permettre de recharger leurs batteries au port ou en mer sans utiliser d’autre ressource que le vent, Jean-Luc Bodart s’est aperçu, au cours de différentes présentations sur les salons spécialisés, que Philéole pouvait avoir d’autres utilisations : pour des bâtiments collectifs (installation sur les toits, première réalisation de Jean-Luc), pour les collectivités locales (installation au sommet de poteaux, pylônes ou lampadaires), pour les sociétés d’autoroutes (installations sur les glissières pour bénéficier du déplacement d’air des véhicules - parce que, finalement, on y revient !), etc. « Mon produit est parfaitement dans l’air du temps. Il faut que je surfe sur cette vague exceptionnelle. »
Alors, pour faire plus ample connaissance avec Philéole, rien de mieux qu’une petite navigation sur phileole.com.
Passionné de la vie
« Jusqu’à présent, j’ai réalisé à peu près tout ce que je voulais faire : piloter un avion, piloter un hélicoptère, apprendre à contrôler les dérapages d’une voiture, faire de la plongée sous-marine… J’admire mon épouse pour m’avoir laissé faire tout ça, quand bien même cela l’agaçait. » [Note à l’adresse de Mme Bodart : il s’agit bien d’une déclaration d’amour.]
Aujourd’hui, Jean-Luc court une demi-heure tous les matins, histoire de s’oxygéner les neurones avant d’aller assembler quelques mini éoliennes dans son garage ou de lever les fonds nécessaires au développement industriel de Philéole. Il court aussi - peut-être - pour éliminer les calories des petits plats qu’il mitonne avec délectation pour ses amis. « J’ai suivi des cours du soir pendant trois ans pour obtenir mon CAP de cuisinier. » Parce que cet épicurien dans l’âme partage l’avis de Jean-Anthelme Brillat-Savarin qui assurait que les plaisirs de la table sont un des principaux liens de la société, en ajoutant que ‘celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel au repas qui leur est préparé n’est pas digne d’avoir des amis’. « Quand quelque chose me passionne, je vais au bout. » On a compris que Jean-Luc Bodart est un passionné de la vie.