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Olivier Oullier

Dans la tête des autres

Neuroscientifique, entrepreneur tech, professeur des universités en sciences comportementales et du cerveau, fier papa de ballerines, disc-jockey… Si Olivier Oullier impressionne par l’étendue et la nature de ses activités, qu’il soit en train de développer une interface cerveau machine ou derrière des platines, il poursuit toujours le même but : mesurer l’activité de nos cerveaux pour comprendre et prédire nos comportements et nos décisions. Vaste programme.

Olivier Oullier

La photo de sa page LinkedIn ne lui rend pas justice et ne le présente pas sous son meilleur… profil. A le voir ainsi, on imaginerait volontiers qu’Olivier Oullier, qui a grandi près de Cavaillon, a le melon. Or il n’en est rien, même si on peut le qualifier - selon l’expression un poil désuète - de grosse tête. Surtout si l’on considère qu’il passe son temps à essayer de comprendre et prédire ce qui se passe dans celle des autres - et franchement, ce n’est pas simple, quoi qu’il en dise, mais nous allons y revenir.

Avec l’accent chantant de la vallée de la Durance et la tchatche qui caractérise les gens du Midi provençal, Olivier Oullier est d’un contact facile (quand on arrive à le joindre) et instaure tout de suite un dialogue naturel. Formation (ou déformation) professionnelle oblige ? Lorsqu’on est un neuroscientifique de haut vol devenu entrepreneur, c’est sans doute préférable. D’ailleurs, soucieux de ne pas exagérément cultiver la modestie, il le dit lui-même sans ambages : « Je pense être à l’aise à peu près partout, chaque individu m’intéresse vraiment. J’aime observer et écouter les gens, et surtout faire en sorte qu’ils se parlent et collaborent. »

De la méthode avant tout

Aujourd’hui, devant toute réussite professionnelle, il est de bon ton d’affirmer que l’on était du genre cancre à l’école. Pas lui. Olivier Oullier se décrit en son adolescence comme « un geek studieux sans véritable talent qui travaillait plus dur que les autres, avait de bonnes notes, et aimait amuser la galerie ». Avec un caractère bien trempé et, très tôt, des envies d’indépendance. Exemple un : à 11 ans, il passe un deal avec ses parents, tous deux enseignants, « tant que ça se passe bien à l’école, vous ne mettez pas le nez dans mes cahiers et vous ne rentrez pas dans ma chambre. » De fait, ils n’y mettront plus souvent les pieds. Exemple deux : son prof de judo, Bernard Tchoullouyan, ancien champion du monde et médaillé olympique, lui intime de ne pas s’emballer après une victoire surprise sur un adversaire plus fort que lui. Il lui explique calmement pourquoi il ne sera jamais un grand judoka, mais que s’il met dans sa vie autant de gnac que sur le tatami, il obtiendra toujours ce qu’il veut. Leçon qu’il n’oubliera jamais (obtenant au passage sa ceinture noire).
« Ce que j’ai appris de plus important dans mes études est la méthode scientifique. Le pouvoir de la rigueur, de la répétition et de la minutie. Remettre en question, encore et toujours, à commencer par son propre travail. » Une méthode très personnelle, en vérité : « Pendant mes premières années de fac, j’ai assisté aux premières séances de chaque matière où je notais la liste des bouquins à potasser, je les achetais… et je n’allais plus en cours.  » Mais il passait 8 ou 9 heures par jour à bosser tout seul à fond, avant d’aller faire ensuite ce dont il avait envie. Et tout en haut de la liste de ses envies, il y avait son travail de disc-jockey. « C’est comme ça que j’ai financé mes études ! ».

C’est aussi comme ça qu’il est devenu Jacques Lavoisier, son nom de scène et de DJ au clair de lune (choisi parce qu’en musique comme dans tous les domaines ‘rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme’). En parallèle de ses activités professionnelles, il mène donc une carrière de DJ international, avec agent à New York et spectacles dans le monde entier de Tokyo à Dubai en passant par Cannes et la Chine. Ce qui l’amène des années plus tard à lancer DJs4Good, se produisant bénévolement ou reversant une partie de ses cachets pour financer des projets de recherche ou à fort impact social dans les domaines de l’inclusion, du handicap ou de santé mentale. Mais revenons au scientifique…

De l’intention à l’exécution

A quoi tient une carrière, tout de même… « Après le bac, je ne voulais pas faire maths sup ni entrer en prépa HEC alors que j’étais reçu aux deux. J’ai commencé en STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives). Les matières enseignées dans cette filière étaient d’une richesse extraordinaire, c’est pour ça que j’y suis allé : anthropologie, physiologie, épistémologie, biomécanique, psychologie et neurosciences. La première semaine, après quelques minutes d’un cours de sciences cognitives donné par un prof passionnant, j’ai immédiatement su que c’était ce que je voulais faire ».

Fort de la méthode évoquée plus haut, Olivier Oullier est donc devenu docteur en sciences du mouvement humain, professeur à Aix-Marseille Université enseignant la psychologie, les neurosciences, l’éthique et les systèmes complexes. Il utilise des méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle, de psychologie et d’économie comportementale (nudges) pour développer des outils qui servent dans « la vraie vie » comme il aime souvent le répéter. Démarche pas si évidente. D’une manière plus générale et plus prosaïque, Olivier Oullier explique qu’il « mesure l’écart entre ce que disent les gens et ce qu’ils font réellement. Entre leurs intentions et leurs actions, pour ainsi alimenter des algorithmes capables de prédire leurs décisions… La combinaison de l’intelligence artificielle et des neurosciences permet de comprendre et prédire le comportement humain comme jamais auparavant. Cela peut servir dans bien des domaines : pour prévenir des accidents ou des erreurs au travail, dans des environnements ou calme et attention soutenue sont obligatoires (tours de contrôle aérien, salle de chirurgie, banques), tout autant que dans la performance durable de sportifs ou de dirigeants de haut niveau. » C’est, d’une manière générale, l’idée qu’il développe depuis plus de 25 ans : « Je n’ai pas de talent (cf. plus haut la modestie - NDLR) mais je suis obstiné. J’ai toujours dû travailler plus que les autres. Mais je ne lâche rien. J’ai eu mon lot d’échecs, certains cuisants, mais jusqu’à présent, cela a toujours fini par payer à un moment ou à un autre »

Au cœur de Davos

De 2009 à 2012, Olivier Oullier dirige avec Sarah Sauneron le programme Neurosciences et politiques publiques au Centre d’analyses stratégiques, auprès du Premier ministre français. Ce qui l’amène à intervenir sur le processus de révision des lois bioéthiques entre 2008 et 2011, qui donnera lieu à la loi du 7 juillet 2011 : première mondiale faisant rentrer les neurosciences dans le code civil. Ses travaux sur l’utilisation des sciences comportementales et du cerveau pour améliorer l’action publique, menés avec l’aide d’experts internationaux externes (dont un coup de pouce reçu d’un certain Richard Thaler, conseiller de Barack Obama et David Cameron à l’époque, et futur Prix Nobel d’économie en 2017) attirent l’attention des responsables du Forum économique mondial qui en font un Young Global Leaders en 2011 (« le réseau international le plus divers » dans lequel on retrouve Emmanuel Macron, Mark Zuckerberg le fondateur de Facebook mais aussi des sportifs, des artistes ou encore des activistes condamnés par des régimes totalitaires). Le Forum économique mondial le recrute ensuite en 2015 pour siéger à son Comité exécutif et prendre la direction mondiale de la stratégie en santé et systèmes de soins. « Travailler au Forum économique mondial a représenté une véritable bascule dans ma carrière. J’y ai appris à créer des partenariats public-privé à grande échelle en bénéficiant d’une formidable plateforme pour développer et déployer des projets en santé profitables à la fois aux industriels engagés mais surtout aux personnes soignées. La recette ? Mesurer, analyser les données et évaluer en continu les performances et les coûts tout au long du parcours de soins afin d’éliminer les redondances, le gaspillage et ne pas répéter les erreurs. La santé n’est pas qu’une affaire de médecine. C’est avant tout une question systémique que l’intelligence artificielle et les sciences comportementales permettent d’optimiser pour sauver plus de vies ». Le Forum économique mondial avait repéré le rapport dirigé pour la France (L’apport des neurosciences pour améliorer l’efficacité des campagnes de prévention en santé publique) qui mettait pour la première fois l’accent sur le fait que l’industrie utilise les sciences comportementales et du cerveau pour promouvoir ses produits, et que ces mêmes outils et stratégies issus des neurosciences doivent être employés par les pouvoirs publics pour améliorer leur communication et leur prévention en santé publique. Après l’avoir traduit en anglais, il fait parvenir son rapport à de nombreuses équipes gouvernementales à travers le monde. Et certains Etats mettront en œuvre ses stratégies, pendant qu’on ignore sur quelle étagère il s’empoussière au ministère de la Santé - mais est-on jamais prophète en son pays ?

C’est donc à cette époque qu’à la brune Olivier Oullier troque le standard vestimentaire de l’élite planétaire contre un blouson et des lunettes noires pour animer les nuits du Forum économique mondial et de nombreux autres grands événements à travers le monde comme le Festival de Cannes, ou le lancement des activités culturelles des Jeux Olympiques à Tokyo pour financer des projets caritatifs grâce à DJs4good.

Création d’entreprise

Dans sa version costume cravate de Young Global Leader, Olivier Oullier fait la connaissance de Tan Le, fondatrice d’EMOTIV, le numéro un mondial des solutions mobiles pour enregistrer l’activité du cerveau. En bref, EMOTIV conçoit notamment des capteurs portables sans fil qui enregistrent et analysent les ondes cérébrales pour évaluer certaines activités cognitives ou émotionnelles, ou encore contrôler des ordinateurs ou des objets connectés par la pensée. Autant dire son terrain de jeu. Après avoir rejoint le board de la société dès 2011, il en devient le président en 2017 et pilote la stratégie de l’entreprise en signant des partenariats à grande échelle avec SAP, Dell ou encore L’Oréal grâce notamment à la sortie des premiers écouteurs audio équipés de capteurs d’activité cérébrale et d’une plateforme en ligne permettant d’enregistrer des milliers de cerveaux en même temps qui permettra de tester rigoureusement l’impact de la communication sanitaire pendant la pandémie de COVID-19 sur plusieurs continents. « Nos solutions ont permis à mon ami tétraplégique Rodrigo Hübner Mendes, que j’ai lui aussi rencontré grâce aux Young Global Leaders, de piloter une vraie Formule 1, sur un vrai circuit, uniquement par la pensée, jusqu’à une vitesse près de 80 km/h. Quelques mois plus tard, à l’occasion d’une conférence que donnait Lewis Hamilton (septuple champion du monde de F1) à Dubai, j’étais assis au premier rang avec Rodrigo. Il a mis au défi Hamilton de le battre dans une course de F1 contrôlées par la pensée. Lewis était déjà au courant de l’exploit qu’avait accompli Rodrigo qu’il a félicité, pour ensuite accepter le défi. La classe ! Ce défi a fait un buzz hallucinant et a été relayé dans les médias de plus de 70 pays. Nous n’avons pas encore pu organiser cette course car, tant que la carrière du champion n’est pas terminée, les assurances réclament des primes exorbitantes pour organiser la course de F1 contrôlée par la pensée. Mais nous le ferons. »

La performance technique et le coup de com’ qui en a résulté ont changé sa carrière de manière inattendue. Quelques années plus tard, en France, un étudiant à HEC et Polytechnique, Paul Barbaste, a vu le vidéo de Rodrigo et Olivier échangeant avec Lewis Hamilton et celle de la F1 contrôlée par la pensée grâce à une interface cerveau-machine. « Paul m’envoie des messages quasiment tous les jours pour que l’on se parle alors que nous ne nous connaissons pas. Il m’explique qu’après avoir vu les vidéos de Rodrigo, il a construit sa propre interface cerveau-machine, tout seul chez lui. Autant dire que ma curiosité est piquée. La première conversation entre nous a duré des heures. Le mec est brillant, déterminé, et surtout nous partageons les mêmes valeurs sur la façon dont les neurosciences doivent bénéficier au plus grand nombre ». Olivier devient le mentor du projet de fins d’études de Paul intitulé Steephen X (double hommage à Stephen Hawking et au Professeur Xavier des X-Men). Tous deux se lient d’amitié et réalisent qu’ils ont la même vision entrepreneuriale : « Mettre à la disposition du plus grand nombre ces interfaces cerveau-machine (contrôle des objets connectés ou des environnements digitaux par la pensée), notamment pour les personnes en situation de handicap moteur lourd, en faisant un produit usuel, industrialisé, dont le coût est abordable pour aider ce public à s’insérer/se réinsérer dans le milieu professionnel. » Quelques récompenses plus tard, dont le prestigieux prix X-Impact Tech de l’Ecole polytechnique, ils fondent Inclusive Brains en mars 2022, startup présentée comme « une pépite et un futur leader mondial » par le Président de Chambre de commerce et d’industrie d’Aix-Marseille Provence lors de la signature de leur partenariat.
In fine, Inclusive Brains développe un jumeau numérique du cerveau humain, qui permettra aux machines de ressentir l’utilisateur et donc de s’adapter à sa fatigue, son niveau de stress ou d’attention. Afin que tous, et pas uniquement les personnes en situation de handicap, puissent en bénéficier. « L’exemple à suivre est la télécommande de télévision. Un objet initialement inventé pour aider les personnes en situation de handicap qui est aujourd’hui présent dans des centaines de millions de foyers. Le but d’Inclusive Brains : combiner neurosciences et intelligence artificielle pour déployer et démocratiser les interfaces cerveau-machine et en faire profiter le plus grand nombre. »

Investisseur high-tech

Si, de crainte que ce portrait ne frise la prise de tête, on a volontairement résumé la carrière aussi multiple que prolifique de ce scientifique pas comme les autres - et l’on se demande néanmoins si Olivier Oullier n’aurait pas un peu usé de méthodes de contrôle de notre clavier par la pensée -, on peut ajouter qu’à ses heures perdues (sic !) il investit encore dans des entreprises de high-tech, à l’image d’eMi-Labs dans le domaine de l’immobilier («  un WeWork pour les startups de biotech  ») ou encore dans My Planet Care, start-up déjà évoquée au cours de certains articles de cette rubrique Rencontres et Inspirations, et dans laquelle il a retrouvé son ami Pierre-Alexandre Teulié, rencontré à Davos et avec qui il a ensuite partagé une chambre quand ils ont étudié ensemble à la Harvard Kennedy School of Governement. « C’est lui qui m’a fait prendre conscience que si de l’extérieur mon parcours pouvait paraître iconoclaste, en fait, quel que soit mon secteur d’activité je faisais toujours la même chose : utiliser les neurosciences pour enregistrer, comprendre et prédire le comportement et les décisions humaines ».
Quand on lui dit que ce qu’il fait relève de la science-fiction, Olivier répond du tac-au-tac «  Pas du tout, c’est simplement de la science en action ».

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