Stanislas Thiénot, vous êtes aujourd’hui directeur général d’Arvitis, à Reims. Pouvez-vous présenter ce groupe ?
Arvitis regroupe des activités de producteurs et de négociants de vins et de champagnes. Il y a, à Bordeaux, les maisons de négoce CVBG (négoce de grands crus), Dourthe (9 châteaux, dont le château Belgrave, 5e cru classé du Haut-Médoc) et Kressmann (négociant traditionnel). En Champagne se trouvent les Maisons Thiénot, bien sûr, Canard-Duchêne et Joseph Perrier. S’y ajoutent L’Aventure, domaine de 51 ha sur le terroir de Paso Roblès, en Californie, et le site de vente en ligne « ventealapropriete.com », leader sur son segment. Le Groupe a réalisé en 2019 un chiffre d’affaires de 240 M€.
Vous avez 43 ans. Etiez-vous destiné à devenir directeur général d’Arvitis ?
Mon père a fondé la Maison de champagne Thiénot en 1985. Il a tout de suite enchaîné, si je puis dire, avec la crise financière de 1987, puis celle de 1990, qui a été terrible, puis la 1ère guerre du Golfe en 1991. A l’époque, il ne savait pas si son entreprise survivrait. Certes, j’étais « imprégné » de la société, qui se trouvait rue des Moissons où nous habitions, mais jamais mon père n’a évoqué une quelconque succession. En 1994, je suis parti faire mes études (Kedge Business School) à Paris et Bordeaux, avec une année de césure aux USA et ma dernière année de cursus au Brésil, dans le cadre d’un échange avec l’université de Sao Paulo - cela m’a permis la découverte d’autres mondes, d’autres cultures…
Ce n’est qu’en 2003 que j’ai rejoint la Maison, au moment de la reprise de Canard-Duchêne, mon père m’ayant proposé de venir l’épauler. C’était le bon moment : on reconstituait Canard-Duchêne et tout était à faire ! Et puis, arriver dans la société familiale qui fait le plus beau métier du monde, ce n’est pas ce qu’il y a de plus désagréable. D’autant que je ne travaillais pas directement avec mon père, mais avec le directeur général de l’époque. Chez Canard-Duchêne, j’avais en charge la mise en place du back office et de la logistique (commercial, administration des ventes, production…). C’était une « plaque tournante » qui m’a permis d’aborder tous les aspects des métiers du champagne. J’étais un salarié comme un autre, je ne prenais la place de personne puisque nous avons alors créé des dizaines d’emplois. Ensuite, je suis revenu au siège de la holding, pour travailler sur des projets transversaux aux côtés de mon père et gravir les échelons.
Quand on intègre l’entreprise familiale, est-il difficile d’être « le fils de » ?
C’est quand même plus facile d’être « le fils de », que de personne ! Cela engendre néanmoins des obligations. Je pense que l’on éprouve un attachement plus fort pour l’entreprise, qu’on lui est redevable d’en assurer l’avenir, et d’accompagner au mieux tous les collaborateurs. Par exemple, je ne me vois pas en train de vendre la société - si c’était « la mienne », sans doute pourrais-je le faire et partir si l’occasion se présentait, mais en l’occurrence, il n’en est pas question. Je me dois d’aller « jusqu’au bout », quelles que soient les circonstances.
Qu’est-ce qui est le plus difficile (ou le plus facile) : créer une entreprise ou en assurer la pérennité ?
Je n’en sais rien, je n’ai jamais créé d’entreprise ! Mais j’ai toujours entendu mon père dire que les premières années sont les plus difficiles en ce sens que l’on ne peut généralement pas partager la prise de décisions avec une équipe, et qu’il faut donc le faire seul. Par la suite, mon père s’est entouré pour faire grandir l’entreprise, et le groupe dispose aujourd’hui d’une équipe solide avec laquelle il est possible de confronter et de mûrir des choix.
Justement, quel est l’avenir d’Arvitis ?
Ce qui est terrible avec la crise sanitaire que nous connaissons, c’est la perte de repères et de visibilité qu’elle entraîne. Si l’activité du groupe reste dynamique, toutes les entités ne sont pas logées à la même enseigne. « Ventealapropriete.com », par exemple, a gagné 5 ans avec la Covid-19 grâce à l’essor d’Internet et du commerce en ligne. Les Maisons de champagne connaissent des situations différentes et Thiénot, qui travaille à 90 % avec le secteur de la restauration, souffre beaucoup. Pour le négoce, le marché des grands vins se porte bien…
Mais nous vivons là un événement géopolitique hallucinant ! J’ajoute que depuis 2008 et la crise des subprimes, il y a eu une accélération d’une violence inouïe en termes d’immédiateté et de volatilité de l’environnement. Or, la plantation d’un pied de vigne représente un investissement sur 30 ou 40 ans… Et qu’en sera-t-il dans 10 ans des conséquences du réchauffement climatique ? Il n’y a pas de visibilité. Dans ces perspectives compliquées, nous nous donnons les moyens de passer la crise pour en sortir renforcés. C’est dans cet objectif que nous avons poursuivi nos projets stratégiques, à l’image de toute la rénovation menée chez Joseph Perrier en matière d’oenotourisme, pour être prêts lorsque les choses vont repartir - nous avons procédé de même dans un château du bordelais. Nous avons maintenu toutes les équipes en place. Lorsque les restaurants vont rouvrir, il faudra que les commerciaux, qui ont la connaissance du terrain, soient là…
Et quand Stanislas Thiénot n’est pas derrière son bureau de directeur général, que fait-il ?
Marié et père de trois enfants, je suis un « dingue » de mer et de montagne, et j’ai la chance que mon épouse partage ces passions, que nous transmettons à nos enfants. Nous y sacrifions dès que c’est possible. Je fais un métier agréable, dans lequel les plaisirs de la table sont fréquents mais… doivent être surveillés (NDLR : pour l’heure, Stanislas Thiénot semble parfaitement les maîtriser si l’on s’en fie à sa ligne) ! Il faut aussi trouver un équilibre par rapport au stress du travail et de la fonction. Comme je le disais, la mer et la montagne me permettent « d’évacuer ». Et puis, quand vous naviguez par gros temps - seul, parfois - ça incite rapidement à une certaine humilité. J’ai toujours vu mon père préserver « le temps familial » et je m’en inspire. C’est un équilibre indispensable.